top of page

Le métier de pilote de ligne

Il est demandé aux pilotes d’être à même de fournir l’optimum de leurs facultés cognitives et physiques depuis le début de leur mission, lors de la préparation du premier vol, jusqu’à la fin du dernier atterrissage, même après plusieurs étapes et heures de vol de nuit.

Les pilotes sont des chasseurs de menaces pour en déceler les risques associés et les neutraliser.

 

  • Si les pilotes devaient disparaître, qu’est-ce qui garantit que la gestion des risques serait plus aisée dans une salle de contrôle au sol que dans un cockpit ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lire le chapitre

Pilote, un métier noble, mais contraignant

 

Les pilotes ont une place à part dans l’industrie du transport aérien. Ces nomades travaillent dans des cockpits exigus, souvent bruyants avec une faible pression atmosphérique[1] et de l’air très sec[2]. Comme les autres navigants de la cabine passagers, ils subissent les turbulences, les radiations solaires à cause de la diminution de la couche atmosphérique et celle d’ozone[3].

Ils s’alimentent avec des plateaux repas sur les genoux, sauf sur certains avions comme les Airbus où il y a une tablette amovible, quand ils en ont le temps et souvent tout en travaillant. Ils subissent continuellement la pression temporelle, souffrent d’insomnies et de perte de références sociales du fait de leurs absences et de leur éloignement répétés.

Il est demandé aux pilotes d’être à même de fournir l’optimum de leurs facultés cognitives et physiques depuis le début de leur mission, lors de la préparation du premier vol, jusqu’à la fin du dernier atterrissage, même après plusieurs heures de vol de nuit. Il est donc illusoire de vouloir les intégrer dans un quelconque processus industriel comme d’autres métiers.

Leur temps de travail varie suivant leurs réseaux court, moyen ou long-courrier, ils n’ont pas de journée à durée fixe, travaillent en horaires décalés et subissent le décalage horaire. Ils n’ont ni week-end[4] ni jours fériés assurés et peuvent avoir des périodes de forte ou de faible activité ou même ne pas voler en hiver pour certaines compagnies (charter). Les amplitudes de travail peuvent compter jusqu’à six, voire huit, vols par jour pour les compagnies régionales.

Pourtant, la pratique de ce métier passion amène à un faible absentéisme : il est plus difficile d’empêcher un pilote d’aller voler que le contraire. Le présentéisme paraît normal lorsque l’on est un responsable, ce qui ici va parfois à l’encontre du bon sens et de la sécurité. Une bonne hygiène de vie s’impose aux navigants pour être toujours en bonne condition avant de partir en vol[5].

 

Le métier exige un certain nombre d’aptitudes physiques et mentales, et il faut être à l’aise avec la technique qui occupe un avion. Mais les pilotes doivent surtout avoir le sens de l’air, de l’équilibre, de la représentation spatiale et de l’orientation, et être capables de piloter naturellement leur avion avec finesse et en toutes circonstances.

C’est-à-dire qu’il leur faut avoir des aptitudes pluridisciplinaires, ou d’intelligences spécifiques, comme celles décrites par Howard Gardner[6] : l’intelligence logico-mathématique pour la résolution de problèmes, linguistique pour la maîtrise de l’anglais, intrapersonnelle par l’adhésion et l’utilisation des Facteurs humains, visuo-spatiale par le sens de l’orientation, et enfin kinesthésique par l’aptitude manuelle à piloter un avion. Soit cinq des neuf intelligences recensée par Gardner. Il est attendu que les pilotes aient un niveau de compétence acceptable et homogène pour chacune d’entre elles. 

Chaque année, ces professionnels doivent satisfaire une visite médicale aéronautique de classe 1 (deux pour les plus de 60 ans[7]) ainsi que la visite du travail.

En France, moins de 5 % des pilotes de ligne perdent définitivement leur aptitude médicale et, par conséquent, leur métier, avant l’âge de la retraite, fixé à 65 ans[8], contre 60 ans avant 2009 en France ; celle-ci est souvent vécue comme une mort prématurée.

De plus, des compétences professionnelles sont exigées, à savoir trois contrôles techniques par an : deux au simulateur et un en vol. Des cours sont dispensés par ordinateur avec vérification des connaissances dans les domaines : techniques avion, météo, réglementation, fret, sûreté, sécurité sauvetage, etc. Et depuis 2009, un contrôle en anglais est exigé tous les quatre à six ans, sauf pour les bilingues.

Lors des contrôles au simulateur, les pilotes sont notés sur la conduite technique de l’avion, sur la gestion de l’équipage et des situations anormales, mais jamais en conditions réelles pour des raisons évidentes de sécurité. Si un seul de tous ces contrôles n’est pas satisfaisant, la licence de vol est suspendue.

Contrairement à de nombreuses professions, l’administration ne laisse pas la possibilité à un pilote de ligne d’exercer son métier avec un niveau de compétence et de santé insuffisants, c’est-à-dire qu’il ne devrait pas y avoir de mauvais pilotes.

 

Les pilotes se relaient pour faire voler un avion de ligne, car il s’agit d’amortir du matériel onéreux. Compte tenu de la complexité d’un avion, ils sont en général qualifiés sur un seul modèle qui peut être décliné en plusieurs versions. Ainsi, depuis les années 1980, les constructeurs proposent une qualification par familles d’avions, dont les équipements, la présentation et l’utilisation sont similaires.

Ainsi l’Airbus 320, qui se décline en plusieurs versions (A318, A319 et A321), présente des points communs avec les autres modèles (A330, A340, A350 et A380), ce qui permet une qualification courte entre deux avions, par exemple de l’A320 à l’A350. Il en va de même du côté de Boeing où je suis actuellement biqualifié sur B777 (en pratique) et sur B787 (en théorie), sur lequel je n’ai jamais volé.

En temps normal, le commandant et le copilote se répartissent le travail de la façon suivante : un des deux est appelé pilote en fonction (PF), il assure la fonction de pilotage ; l’autre est appelé pilote monitoring (PM), il assiste le premier et assure les fonctions de communications avec les contrôleurs aériens et la gestion de l’avion, dont la mécanique pour les pannes. La navigation, le suivi de la météo, etc. sont assurés par les deux.

Dans les grandes compagnies, compte tenu du nombre important de navigants, les pilotes ne se connaissent pas forcément, ce qui ne les empêche pas de travailler ensemble comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Le cadre rigoureux de leurs procédures leur permet d’être parfaitement synchronisés.

Les décisions finales appartiennent toujours au commandant de bord – qui est assis sur le siège de gauche dans le poste de pilotage – qu’il soit celui qui pilote ou qui monitore.

Afin de maintenir leur niveau de compétence, les rôles PF / PM sont inversés, mais pas leur place, à chaque étape. S’il y a plusieurs copilotes sur long-courrier, ils se répartissent les décollages et les atterrissages, et le plus expérimenté utilise le siège du commandant lorsque celui-ci va se reposer.

Certaines compagnies ont deux équipages complets à bord, et le changement de l’un à l’autre se fait à mi-parcours, mais la responsabilité finale du vol incombe au commandant senior.

C’est pendant la croisière en situation normale que la charge de travail est la plus faible. Le vol s’effectue sous pilote automatique (PA) qui est toujours utilisé. En effet, piloter un avion en ligne droite n’a aucun intérêt et pénalise grandement celui qui est accaparé par une tâche simple mais qui demande des ressources et une concentration permanente. Le PA libère beaucoup de disponibilité, et il est plus précis que l’homme.

En revanche, la charge de travail augmente significativement durant les phases de départ et d’arrivée. Les avions évoluent rapidement : direction, altitude, vitesse et configuration. S’ils se sentent en forme, les pilotes profitent de ces moments-là pour piloter en manuel, afin de maintenir leur niveau de compétence. Finalement, le PA est utilisé à plus de 90 % du temps de vol[9], sauf pendant quelques minutes, au cours des décollages et atterrissages qui s’effectuent encore en manuel[10].

Le niveau d’importance des informations, délivrées par les systèmes de surveillance de l’avion, est annoncé par messages visuels et sonores, hiérarchisés[11] et parfois inhibés suivant la phase du vol[12]. L’objectif étant de transmettre l’information au moment opportun pour éviter de polluer l’esprit des pilotes. Par exemple, une alarme de panne secondaire de chauffage des soutes de l’avion sera donnée après le décollage, même si elle a eu lieu pendant.

A contrario, fournir davantage d’informations, en croisière, que celles dispensées actuellement, serait de nature à maintenir les pilotes plus impliqués dans leur travail pendant la phase du vol qui est la moins active. Lorsque le niveau de vigilance diminue, ils sont moins à même de déceler (rapidement) toutes défaillances de systèmes et déviations de certains paramètres du vol. Il existe alors un réel risque qu’ils sortent de la boucle de pilotage. Cependant, il faut considérer que la croisière est aussi un moment privilégié pour que les pilotes se reposent afin qu’ils soient en forme à l’arrivée.

 

Gérer les risques

 

À l’aide de briefings, les pilotes conviennent d’un projet d’action commun, notamment pour les départs et les arrivées, qui évoluent constamment en fonction du contexte : météo, particularités de l’aéroport, de l’avion, etc., car chaque vol est différent, même s’il s’agit de deux vols d’affilée vers la même destination. Ainsi ils se projettent dans un avenir à plus ou moins court terme pour faire face aux différentes situations prévisibles, cette anticipation est nécessaire compte tenu de la vitesse des avions. Les pilotes doivent toujours être « devant leur avion », au risque d’être rapidement dépassés par les événements[13].

Cependant, lors de gestion de pannes ou d’autres situations critiques, l’équipage, en fonction du temps dont il dispose, devra réactualiser son projet d’action. Autrement dit en situation normale, les briefings servent à anticiper le travail dans les détails, alors qu’en situation d’urgence les pilotes parent à l’essentiel en assurant un niveau de sécurité adapté en fonction des menaces et des moyens disponibles : état de l’avion, équipement de l’aéroport, météo, ressources et compétences de l’équipage.

Dans la pratique, s’ils ne sont pas préparés à faire face à tous les évènements possibles et imaginables, ils le sont en revanche, par leurs entraînements au simulateur, pour les scénarios de situations anormales classiques : panne moteur, descente d’urgence, accélération-arrêt sur la piste au moment du décollage, évacuation des passagers, etc.

Si les pilotes sont directement concernés par les enjeux économiques et commerciaux de leur compagnie, leur mission consiste avant tout à veiller au respect des règlements, avec par ordre de priorité : la sécurité et la sûreté (Safety First) ; le confort et la ponctualité ; enfin l’économie.

Le carburant, qui est le premier poste de dépense d’une compagnie aérienne, est devenu un véritable leitmotiv, une obsession chez les gestionnaires, dont les pilotes font partie[14]. Néanmoins, en termes de sécurité et de légalité, je ne connais pas de compagnie qui se risquerait à offrir des primes à ses pilotes pour partir avec moins de carburant que le minimum réglementaire[15]. Au final, c’est toujours le commandant qui décide de la quantité à prendre.

Car la prudence, comme le doute, font partie des qualités premières de leur métier pour l’accomplir en toute sécurité, ce qui ne doit pas être perçu comme une faiblesse.

Mermoz, le plus compétent des pilotes de son époque, est mort en mission. Et même si on ne peut pas lui imputer la panne moteur de son dernier vol, c’était une tête brûlée, et le courrier devait passer à tout prix. D’autres, moins talentueux mais plus prudents, sont morts dans leur lit.

Aujourd’hui, les pilotes surdoués constituent une menace pour le fonctionnement très normatif d’un équipage standard. Un niveau élevé de compétences peut procurer un sentiment d’invulnérabilité, de surconfiance et une relâche de l’attention de l’équipage.

 

Enfin, les pilotes sont des chasseurs de menaces (les démasquer et les anticiper) pour en déceler les risques associés, et une fois identifiés, les neutraliser par ordre d’importance.

Ces gestionnaires de risques doivent être un peu paranoïaques, scrutant la ligne d’horizon pour y débusquer un piège, tout en ayant un œil sur leurs instruments de bord.

 

Si les pilotes devaient disparaître, rien ne garantit que la gestion des risques soit aussi aisée dans une salle de contrôle au sol que sur le « terrain », dans un cockpit.

* * *

 

[1]. L’équivalent d’une altitude de 3 000 m.

[2]. < à 5 % d’humidité après quelques heures de vol, particulièrement pour les avions à grand volume.

[3]. Aggravant les risques de cancer et de stérilité.

[4] En 30 ans de transport public, en dehors des congés, la plus part du temps, j’ai volé les weekends.

[5]. Le Code de l’aviation civile précise : « Tout membre de l’équipage doit s’abstenir d’exercer ses fonctions dès qu’il ressent une déficience physique ou mentale de nature à le mettre dans l’incapacité d’exercer en sécurité ses tâches… » (Arrêté 87 6.1.2).

[6]. Howard Gardner, professeur de psychologie cognitive à Harvard, a émis l’hypothèse, dans son ouvrage, Les formes de l’intelligence (1983), que plusieurs types d’intelligence coexistaient chez chaque être humain. En étudiant des individus souffrant de troubles cérébraux, il distingue sept types d’intelligence. Il y ajoute ensuite une huitième, l’intelligence « naturaliste », et en envisage une neuvième, « spirituelle » (voir annexe II).

[7]. Auparavant, jusqu’en 2004, deux visites médicales par an étaient exigées pour les plus de 40 ans. Malheureusement, l’harmonisation de la législation européenne, sous la pression anglaise qui manque de médecins, a conduit cette exigence à la baisse.

7 Dans certains pays comme les USA, cette limite d’âge est déjà repoussée à 67 ans…

[9]. “This is important because FAA estimates that automation is used 90 percent of the time in flight.” Enhanced FAA Oversight Could Reduce Hazards Associated with Increased use of Flight Deck Automation. Report Number: AV-2016-013. Date Issued: January 7, 2016.

[10]. Sauf cas exceptionnel par très mauvaise visibilité à l’atterrissage (atterrissage automatique).

[11]. Urgent (warning), secours et d’attention (caution), enfin par information sur l’état des systèmes (status).

[12]. Décollage basse et haute vitesse, montée initiale, montée, croisière, descente, approche, finale et atterrissage.

[13]. « Se retrouver derrière l’avion » dans le jargon des pilotes.

[14]. En vol, les pilotes gèrent le carburant. Par exemple, ils peuvent ralentir le vol et faire des économies. En revanche, après s’être renseigné auprès des opérations aériennes, ils peuvent aussi accélérer et consommer plus de carburant (s’ils en disposent suffisamment) ; ceci pour évaluer le coût/bénéfice entre la dépense supplémentaire carburant et les correspondances des passagers qui ne seraient pas ratées, occasionnant des frais (hébergement, repas) pour la compagnie.

[15]. Qui correspond au carburant de l’étape, plus celui nécessaire pour atteindre un aéroport de dégagement, plus 30 minutes d’attente à destination et, pour les aléas, une réserve de route comprise entre 3 et 5 %.

2018 Par Alexandre AUBIN

Join my mailing list

bottom of page