La légende du métier de pilote de ligne
Les débuts de l’aviation, cette aventure technique et humaine, l’une des plus dangereuses, ont fabriqué des héros de légende, comme les As militaires et les aviateurs des grands raids de l’entre-deux-guerres.
Adulés tout autant que critiqués, les pilotes de ligne bénéficient encore d’un statut privilégié et d’une rémunération en conséquence. Pour la plupart d’entre eux, poussés par une passion indéfectible, ce métier est une finalité, l’aboutissement d’un rêve.
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Peut-on tuer ce rêve ?


Von Richthofen Jean Mermoz
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Ces héros qui ont bâti la légende…
L’aviation militaire a pris son essor pendant la Première Guerre mondiale, et le transport aérien après la seconde.
L’entre-deux guerres a été, pour l’aviation civile, une phase expérimentale, notamment au cours de grands raids qui ont attiré l’attention. Durant l’épopée de l’Aéropostale, les pilotes devaient forcer le destin pour que le courrier passe sans que l’avion casse. Il était essentiel que ce nouveau moyen de transport devienne un acteur majeur, sans qu’il soit condamné prématurément par un trop grand nombre d’accidents[1].
Cette aventure technique et humaine, l’une des plus dangereuses à l’époque, a fabriqué des héros de légende[2], comme les As de la Première Guerre mondiale qui ont façonné l’imaginaire collectif : von Richthofen, Mannock et Guynemer[3]. Ces chevaliers du ciel[4] incarnaient chacun pour leur pays l’image du héros des temps modernes, chevauchant une monture volante.
Ainsi, von Richthofen, le Baron Rouge, abattu en France, a eu droit à des funérailles en grandes pompes par les armées alliées.
De même, pendant la Seconde Guerre mondiale, le sacrifice de jeunes pilotes de chasse de la Royal Air Force[5] – il a eu 80 % de perte – a interdit que les Allemands ne débarquent en Angleterre. Une chapelle dans la cathédrale de Westminster leur est dédiée, et ils ont été encensés lors de la bataille d’Angleterre par l’envolée lyrique de Churchill : « Jamais dans l’histoire des conflits, tant de gens n’ont dû autant à si peu[6]. »
Aujourd’hui, l’esprit chevaleresque, animé par le sens du sacrifice, a disparu. Pour l’aviation commerciale, il a été remplacé par l’esprit seigneurial, héritage de la marine. En effet les commandants de navires ont longtemps eu un statut extrêmement privilégié, celui de « pachas » chez les militaires qui, dans certaines circonstances, avaient le droit de vie et de mort à bord. Cela s’expliquait à l’époque par l’importante délégation de pouvoir consécutive à l’éloignement et l’isolement.
Adulés tout autant que critiqués, les pilotes de ligne bénéficient encore d’un statut privilégié et d’une rémunération en conséquence. Pour la plupart d’entre eux, poussés par une passion indéfectible, ce métier est une finalité, l’aboutissement d’un rêve. Le chemin pour y arriver est semé d’embûches, et l’admission dans une grande compagnie une consécration.
En dehors des problèmes de santé, il y a très peu de pilotes de ligne qui abandonnent leur carrière pour une autre activité. En revanche converge vers lui une grande variété de cursus et de métiers : du polytechnicien au chirurgien[7], en passant par le responsable technique d’un chai d’embouteillage de vin (que j’ai été) ; cette profession peut s’enorgueillir de sa diversité et de la richesse de ses origines. Certes, le gros du bataillon est constitué de pilotes qui sont passés par la filière d’écoles spécialisées, comme l’École nationale de l’aviation civile (ENAC) en France, ou la formation de cadets, payée et contrôlée par les grandes compagnies. Le reste provient de l’armée de l’air, de l’aéronavale, de l’aviation d’affaires (dont je suis issu), du troisième niveau et des aéro-clubs.
La fin du métier de pilote d’avion, c’est aussi la fin d’un rêve. Celui de voler de « ses propres ailes », de métriser des machines complexes, d’être responsable d’un grand nombre de personnes, d’avoir un statut privilégié et enviable… Ce qu’un technicien au sol en charge de veiller au suivi d’un vol n’aura jamais.
* * *
[1]. « Si un pilote cassait un appareil, ce pilote perdait sa prime de non-casse : “Mais quand la panne a eu lieu sur un bois ? s’était informé Robineau. – Sur un bois aussi.” Et Robineau se le tenait pour dit. “Je regrette, disait-il plus tard aux pilotes, avec une vive ivresse, je regrette infiniment, mais il fallait avoir la panne ailleurs. – Mais, Monsieur Robineau, on ne choisit pas ! – C’est le règlement.” ». Extrait de Vol de nuit d’Antoine de SAINT EXUPÉRY.
[2]. « Abandonner ? C’était impossible : notre mission était d’une importance considérable, beaucoup plus grande qu’on ne peut se l’imaginer quand on est rentré en France ; là-bas, nous défendions et les intérêts et le prestige de l’aviation commerciale française. ». Extrait de Mes vols de Jean MERMOZ , 1937, p. 92.
[3]. L’Allemand von Richthofen a été le pilote ayant eu le plus de victoires (80) ; il est mort à 25 ans en 1918. L’Anglais, Mannock, qui en a totalisé 73, est mort à 31 ans en 1918. Le Français Guynemer, avec 53 victoires et mort à 22 ans en 1917.
[4]. Les pilotes étaient principalement issues de la cavalerie. L’avion apportait avec la monture une dimension supplémentaire pour terrasser l’ennemi (saint Georges).
[5]. Il y avait de nombreux pilotes étrangers dans la RAF, et les plus nombreux étaient polonais.
[6]. Le 20 août 1940.
[7]. Chef de division B777 Air France, 2012-2013.